Surdiagnostic du cancer de la thyroïde : une fatalité ?

Dans une étude rendue publique le 18 août dernier, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), agence intergouvernementale créée par l’OMS, affirme que depuis vingt ans, 500 000 personnes dans le monde auraient fait l’objet d’un surdiagnostic du cancer de la thyroïde, entraînant des milliers d’opérations chirurgicales et de traitements lourds dispensables. Un phénomène qui n’épargne pas la France, pays où le surdiagnostic concernerait entre 70 et 80 % des cancers de la thyroïde.

Les résultats de cette étude sont de nature à bousculer le système de santé de plusieurs pays parmi les plus riches du monde, et risquent de soulever des questions sur la façon dont est menée la lutte internationale contre le cancer. En effet, l’agence de l’OMS appelle désormais à la « vigilance » et à la « dédramatisation » afin d’éviter que des personnes soient inutilement obligées de suivre des traitements souvent très lourds (ablation de la thyroïde, mais aussi souvent des ganglions du cou, radiothérapie…).

Pour le professeur Martin Schlumberger, endocrinologue à l’hôpital Gustave-Roussy (Villejuif), l’approche du cancer de la thyroïde privilégiée à partir des années 1980 nous a conduits à « aller chercher des problèmes qui n’existaient pas. A l’époque, on s’est mis à faire des échographies à tout bout de champ, même quand la thyroïde paraissait normale à la palpation ». Le nombre de petits nodules a dès lors augmenté aussi vite que l’inquiétude chez les médecins et les patients. Pourtant, seuls « environ 5 % des nodules thyroïdiens sont des cancers », signale le Dr Schlumberger, qui rappelle que l’Americain Thyroid Association déconseille désormais le dépistage systématique et décourage la cytoponction lorsque le nodule ne dépasse pas les 10 mm.

L’appel au calme lancé par le CIRC est d’autant plus pertinent que les cancers de la thyroïde ne sont pas les seuls à être touchés par le surdiagnostic. Les cancers du sein et de la prostate sont également concernés. Aux Etats-Unis, une étude de 2012 estimait que plus d’un million de femmes avaient été traitées inutilement contre le cancer du sein. La même année, l’assurance-maladie française avait tiré la sonnette d’alarme sur un test de dépistage du cancer de la prostate, utilisé « trop massivement ».

Frappée au coin du bon sens, l’étude du CIRC a pourtant de quoi étonner venant d’un organisme qui ne s’est jamais distingué par son caractère précautionneux. L’agence est en effet connue à travers le monde pour ses prises de positions périlleuses, prenant le contrepied de l’ensemble de la communauté scientifique. Comme lorsqu’elle avance que la consommation de produits aussi quotidiens que la viande, le vin ou le café constitue une menace sérieuse pour la santé des consommateurs…

En 2015, les experts du CIRC affirmaient que chaque portion de 50 grammes de viande transformée, consommée quotidiennement, accroîtrait le risque de cancer colorectal de façon considérable. Or, d’autres études indiquent que le risque pour un individu de développer ce type de cancer n’est que de 4,5 % tout au long de sa vie, et qu’il « pourrait » atteindre 5,3 % en raison de sa consommation de viande transformée. Soit une augmentation incertaine et marginale qui ne mériterait pas le bruit suscité par l’étude du CIRC.

L’agence s’enlise également depuis plusieurs mois dans une polémique stérile au sujet du glyphosate. En effet, elle le classe dans la catégorie des « cancérogènes probables », alors que des études d’autres agences internationales, notamment l’Agence américaine de protection de l’environnement et l’Autorité européenne de sécurité des aliments sont arrivées à la conclusion opposée.

Le cancer est la principale cause de mortalité dans le monde. De ce fait, il suscite les peurs d’un grand nombre de personnes. S’il convient de désamorcer ces craintes lorsqu’elles sont infondées, comme le CIRC a raison de le faire au sujet du surdiagnostic du cancer de la thyroïde, le problème est que la voix de l’agence de l’OMS perd en crédibilité à cause des trop nombreuses alertes qu’elle a lancées, souvent de manière infondée. Une habitude qui pourrait bien décrédibiliser l’ensemble de son travail, et ne pas restituer à l’étude portant sur le surdiagnostic tout l’écho qu’elle semble pourtant, elle, mériter.

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