Leslye Granaud nous parle menstruations et rapport au corps à l’ère des réseaux sociaux

Leslye Granaud_Metropolitaine

Créatrice de contenus, vidéaste, photographe, auteure, la pétillante Leslye Granaud, qui s’est fait connaître sur les réseaux sous le nom de Levsky.ink, nous a accordé un entretien riche et inspirant. Fondatrice de Spmtamère, un compte instagram qui brise le tabou liées aux menstruations et dédiabolise les questions féminines voire féministe, elle nous confie ses impressions sur l’image de la femme et son rapport au corps à l’ère des réseaux sociaux.

Bonjour Leslye, merci de prendre le temps de nous rencontrer. On va démarrer simplement : comment t’es venue l’idée du compte Spmtamere (Syndrome prémenstruel Ta mère) ?

L’idée de spmtamere  m’est venue de ma propre expérience. Je suis victime de syndrome menstruel très très fort et j’ai pris des années à comprendre le lien direct entre mes règles et ces grosses chutes de moral voire phase de dépression juste avant le début des règles. Il y a très peu d’informations sur ce sujet sur internet et c’est donc souvent difficile de faire le lien entre les deux phénomènes. Une fois que j’ai compris, ça a d’abord commencé sur le ton de la blague, j’en rigolais souvent avec ma meilleure amie, et puis voyant l’émergence de pas mal de comptes tels que tasjoui, gangduclito, qui parlaient des problématiques très féminines, ça m’a donné l’impulsion de créer le compte instagram Spmtamere. Je m suis dit “allez on tente”, mais je ne pensais pas du tout que ça marcherait autant, et finalement aujourd’hui ça marche vraiment très bien, je crois qu’on est 58 000 abonnées et ça ne cesse d’augmenter, donc je pense qu’on peut dire que c’était une bonne idée (rires)

Dédramatiser tout ce qui touche aux menstruations et sensibiliser sur ce sujet assez tabou de la société c’est être dans une mouvance body positive pour toi ?

Je dirais que oui quelque part, parce que c’est aussi permettre de prendre conscience de ce que notre corps est capable de réaliser. Avec les règles on pense toujours plus désagréments liés, on voit ça comme quelque chose de pénible, pas glamour, voire de sale ou dégoûtant, mais c’est un phénomène qui mérite d’être dédramatisé, ne serait-ce que dans une optique de réappropriation de son corps et de sa féminité.

Le rapport au corps féminin c’est une thématique assez récurrente quand on jette un coup d’oeil à tes réseaux, pourquoi ?

Parce que je suis depuis toujours très féministe, je pense que je le suis depuis que je suis enfant, je ne cesse de remettre en question toutes les normes qui touchent aux femmes. Pourquoi les femmes sont autant sujettes à une image d’objet ? Ou pourquoi sont-elles soumises à autant de diktats vis-à-vis de leurs corps, leurs attitudes, ou généralement de tout qui englobe la féminité ? C’est ce genre de question sur lesquelles je m’interroge en permanence. Je pense que quand on ouvre les yeux et qu’on cherche à s’informer sur ces questions là, on ne peut qu’y être sensible. Je pense qu’il y a pas mal de travail à faire là dessus, qu’il s’agisse des problématiques liées au corps féminin ou encore à celles de la représentation de toutes les féminités, je pense notamment aux femmes de couleurs, aux différents types de cheveux. Si on prend la femme française par exemple, elle est encore et beaucoup représentée par la femme parisienne, beaucoup de vidéastes s’intéressent de plus en plus à cette question d’ailleurs : qu’est ce que la femme parisienne ? Le cliché récurrent c’est souvent cette femme mince, blonde aux yeux bleus, qui porte un trench, et ça c’est pas la représentation que j’attends de la femme dans les médias. Simplement parce que la femme est multiple, elle peut être grosse, petite, très mince, avec des handicaps, noire, asiatique. Je suis vraiment sensible à ces thématiques, et je trouve que, se servir des réseaux sociaux pour faire la promotion de sa personne c’est bien ça peut être intéressant, mais ça l’est encore plus de se servir de cette petite visibilité pour faire réfléchir les gens, insuffler du questionnement, sans forcément imposer des réponses, mais simplement pour amener chacun à se poser des questions sur la place d’une femme, son corps, et les diktats qui l’entourent. Je pense ques les réseaux sociaux sont un excellent moyen de se poser des questions. 

Tu t’es fait connaître sur les réseaux avec le yoga, quel rôle cette discipline a joué dans le rapport que tu entretiens avec ton corps ? 

En effet, au tout début mon sujet de prédilection sur instagram c’était le yoga, ça l’est de moins en moins mais bon mine de rien je suis quand même en train d’écrire un livre sur lequel il y aura une grosse partie yoga, donc c’est une activité qui reste très importante dans ma vie. Le yoga pour moi, a eu un effet bien au delà du rapport positif à mon corps, il a débloqué des choses mentalement. Je me suis formée pendant deux mois  en Inde pour être professeur de yoga, c’était une formation très intense, tant sur le plan psychologique que physique et c’est une discipline qui m’a permis de me rendre compte à quel point mon corps était plus qu’une enveloppe. Au delà des notions de “mince”, “gros”, “beau ou pas beau”, mon corps était devenu le moteur d’une machine très bien huilée. Malgré toute la souffrance que j’ai pu ressentir durant la formation (rires), j’ai été épatée de voir ce que mon corps était capable de réaliser, et même mon mental, qui est d’ailleurs complètement lié au corps. Le yoga m’a permis de mieux accepter mes émotions, d’accepter quand ça n’allait pas, mais aussi de prendre du recul là dessus. Tout ça m’a permis de voir à quel point mon corps était plutôt merveilleux, j’avais beau le trouver trop ceci, trop cela, et malgré tout ça il continuait à me donner le change, et continuait à me porter coûte que coûte. J’ai aussi vraiment pris conscience que je n’avais qu’un seul corps, je faisais des régimes vraiment violents avant pour espérer perdre quelques kilos, des choses vraiment pas juste vis-à-vis de lui, et vraiment pas saines pour mon mental et ma santé physique. Le yoga m’a permis de prendre conscience de ça et d’être plus en paix avec mon corps.

On a souvent le cliché de la femme yogi, svelte, vegan. A toutes celles qui ne correspondent pas à cette image, nourrissent des complexes, mais qui voudraient se lancer, tu dirais quoi ?

C’est un vrai problème,  la plupart des gens imagine effectivement que c’est une discipline uniquement destinée aux gens minces, beaux, blancs, il existe une image très formatée des gens qui pratiquent le yoga. Je pense qu’il y aussi le fait que le yoga soit perçu comme quelque chose s’adressant principalement à une catégorie de gens ayant de l’argent, notamment parce que les cours de yoga sont plutôt chers, et que les centres de yoga se trouvent en général dans des quartiers un peu “bourgeois”, c’est le cas par exemple à Paris où on ne trouve pas tellement de centres dans les quartiers dits populaires. Donc ça nourrit ce cliché que le yoga est destiné à une clientèle composée de gens plutôt riches et beaux. C’est pourtant complètement faux, je ne corresponds d’ailleurs pas du tout à ce cliché, je ne suis ni riche ni moche (rires) et je ne suis pas non plus svelte, vegan et blonde. Je bois, je fume, je mange de la viande, je ne suis pas du tout dans ce stéréotype de la femme yogi parfaite, et je pense qu’il faut absolument déconstruire cette idée que le yoga ne peut pas être pour nous simplement parce qu’on ne correspond pas à cette image erronée. Dans un cours de yoga, les gens ne se regardent pas, une fois sur ton tapis personne ne te regardera pour savoir si tu es souple, mince, ou si tu ne l’es pas. Les gens sont très focus sur leur pratique et regarderont leur prof. C’est d’ailleurs au prof de savoir mettre à l’aise, de savoir demander si tu as mal ou pas sur telle posture en fonction du physique de de chaque élève, c’est à lui de mettre à l’aise, de proposer des variantes si une posture n’est pas possible pour différentes raisons (niveau, corpulence, etc). C’est comme tout, l’expérience viendra avec la pratique donc il ne faut surtout pas s’empêcher de pratiquer si on a envie de le faire, quitte à essayer plusieurs cours pour trouver LE cours dans lequel on se sent bien ou le prof avec lequel on a des atomes crochus.     

Il  faudrait quoi selon toi pour qu’une femme soit bien dans sa peau dans la société moderne ?

Je pense qu’il y a un travail à la fois individuel et collectif, et il faudrait que chacun assume sa responsabilité là dedans. J’évoquais le potentiel des réseaux sociaux tout à l’heure, pour les débats et discussions qu’ils permettent, et je pense justement que ce côté reste encore trop peu exploité, voire mis de côté au profit d’une dimension superficielle, voire très fausse, puisqu’on est toujours en train d’embellir la réalité. Beaucoup de femmes seront sans doutes d’accord avec moi quand je dis par exemple que les filtres sur instagram sont de plus en plus flippants. Rares sont les filles qui font des stories sans un filtre qui lui grossit la bouche, lui affine le nez ou lui fait des yeux plus grands, tant et si bien qu’il y a des filles que je connais en réalité et que je ne reconnais même plus dans leur stories ! 

Selon toi, les filtres contribuent vraiment à une sorte de rapport malsain à notre propre image donc ?

 Oui, avant on avait le fléau des retouches photos qui lissent les peaux, les corps et gomment toutes traces de cellulite, maintenant les filtres viennent s’ajouter et contribuer à un certain mal-être sans qu’on s’en rende compte. D’un point de vue personnel, j’ai une amie qui utilisent pas mal de filtres et qui regardent pas mal de stories et je la vois de plus en plus mal dans son corps et mal à l’aise avec son physique et je pense sincèrement que l’utilisation excessive des filtres y est pour quelque chose, car l’image virtuelle qu’elle a d’elle, ne correspond plus à son image réelle. Tout ça me fait penser qu’il faudrait vraiment réfléchir individuellement à notre façon de consommer des réseaux sociaux, réfléchir à notre façon d’exposer notre image. Bien sûr que c’est marrant d’utiliser des filtres pour s’amuser un peu, mais je pense que ça fait partie de la responsabilité des créatrices de contenus sur internet que de rester au plus près de la réalité et de ne surtout pas tomber dans l’excès, comme en ce moment. 

Et pourtant, d’un autre côté, on a aussi des comptes plus pédagogiques et bienveillants mais ça reste une minorité. Chacune d’entre nous devraient se poser les bonnes questions. Moi par exemple, je ne suis pas satisfaite du corps que j’ai aujourd’hui mais quand je regarde des photos de moi d’il y a cinq ou dix ans, je faisais quinze kilos de moins et je me souviens que je me trouvais déjà grosse à cette époque là, je me trouvais déjà pas belle. Avec le recul de maintenant, quand je regarde ces photos, je me dis “mais j’étais vachement mince !” et je me demande comment je pouvais ne pas être satisfaite du corps que j’avais et comment je pouvais être aussi dure vis-à-vis de moi-même alors que je n’avais aucune raison de l’être. J’ai réalisé que le fait d’être bien dans son corps c’est bien au delà de la perte de poids, c’est vraiment quelque chose avec lequel on fait le deuil avec soi même. 

Le deuil d’un idéal donc ?

Alors je dis pas de faire le deuil d’avoir un beau corps, mais de faire de le deuil des peurs, des blessures qu’on peut avoir par rapport à l’image que l’on renvoie. On devrait garder à l’esprit que les gens ne nous apprécient pas pour le corps qu’on a mais pour ce qu’on représente, pour ce qu’on fait, pour l’implication qu’on a dans leur vie ou même dans la société. 

Comment devrait-on procéder pour arriver à cette acceptation ?

C’est un travail très compliqué et je pense vraiment qu’il n’y a pas de bonnes réponses, car tout se fait en fonction de nos  histoires et de nos blessures, chacun doit faire ce travail d’introspection pour comprendre pourquoi on est pas bien avec notre corps et surtout pourquoi on donne autant d’importance au regard que les autres ou la société peuvent avoir sur ce corps.

Et alors cette société, comment procède-t-on pour la changer ?

Alors au niveau de la société et des institutions, je pense qu’on en revient à cette idée du féminisme, c’est à dire qu’il faut plus de femmes, autant au niveau politique que professionnel. Il faut qu’on voit plus de femmes, il faut qu’on donne plus de place aux femmes à des postes décisionnaires, parce que pour le moment la femme est souvent cantonnée à quelque chose de très superficiel. Une femme qui sera autoritaire, qui aura du pouvoir et qui gère les choses comme un homme, d’ailleurs même moi je dis “comme un homme”, on considérera que c’est une femme caractérielle, ou qui ne sait pas se contrôler, autant de remarques que l’on ne ferait pas à un homme. Et je pense que pour permettre aux femmes d’être plus libres avec leur corps et la vision qu’elles en ont, il faudrait arriver à point où ce n’est plus le seul leitmotiv des femmes, où on ne les réduit pas qu’à ça. C’est à dire qu’il faut que dès leur plus jeunes âges les petites filles aient la possibilité de rêver à être par exemple présidente, avocate, juge, à être a des postes de haut niveau de responsabilité pour que leur seul but ne soit pas simplement d’être “jolie”, “bien élevée”, “douce”, “charmante”, soit attrayante au regard des hommes et de la société. Tout simplement parce que les femmes sont capables de bien plus que ça, voila ! (rires)   

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