Tétine pour adultes : au souvenir du tout-puissant soin maternel ?

Depuis quelques semaines, de jeunes adultes s’affichent sur les réseaux sociaux, tétine en bouche, en train de se reposer, de lire un bouquin ou même de travailler. Ils assurent que cet objet pour bébé apaise leurs angoisses et diminue leur stress. La succion passe ainsi pour un mécanisme auto-calmant dont on peut tirer profit à tout âge. Mais est ce vraiment le cas ? Que pourrait cacher cette pratique puérile ?

Les réseaux sociaux sont vraiment pleins de bizarreries ! En témoigne une nouvelle tendance que Sigmund Freud aurait pris plaisir à analyser. Depuis quelques semaines, des vidéos sur Instagram et TikTok montrent des adultes, généralement âgés de 18 à 36 ans, sucer des tétines dans des lieux divers (transports, bureau, maison, etc.). Selon ces individus, dont certains portent même des couches (à domicile bien-sûr), la succion est un puissant moyen d’apaiser les angoisses et de diminuer le stress, quel que soit l’âge. Fort de ses supposés bienfaits, certains revendiquent même sans détour un retour dans l’enfance.

La tétine peut apaiser, mais cache des risques pour la santé bucco-dentaire

Cette nouvelle tendance des réseaux sociaux a beaucoup fait parler les internautes et pousser des spécialistes à se prononcer. La plupart des experts (dentistes et orthodontistes, notamment) ne voient pas cette pratique d’un bon œil. Si la succion peut effectivement apaiser certains adultes, comme ceux qui fument des cigarettes ou sucent leur pouce en cachette, les spécialistes mettent en garde contre les risques pour la santé bucco-dentaire, les risques de douleur de la mâchoire et de déformation des dents, ou du palais en cas de forte utilisation. Ce sont d’ailleurs les raisons pour lesquelles la tétine est déconseillée aux enfants dès l’âge de 2 ans.

Attention à une forme de dépendance émotionnelle et un repli sur soi

Pour leur part, les psychothérapeutes mettent en garde contre les effets psychologiques pervers de la tétine. En effet, l’habitude de sucer un objet peut engendrer une forme de dépendance émotionnelle et favoriser un repli sur soi. Aussi, l’utilisation d’un objet d’ordinaire réservé à la petite enfance, à l’âge adulte, provoque généralement une gêne sociale en public et une honte chez la personne concernée.

Des spécialistes notent toutefois que pour certains adultes, ce comportement régressif assumé relève du fétichisme, du jeu de rôle d’ordre érotique ou sexuel. Pour les psychanalystes, c’est plutôt le subconscient qui s’exprime, c’est le désir refoulé qui jaillit.

La succion, première étape de l’organisation psychosexuelle chez l’enfant

Sigmund Freud, par exemple, considère le suçotement comme un langage d’un corps-psyché. Chez l’enfant, il s’inscrirait dans la phase orale, première étape de l’organisation psychosexuelle. Le bébé ne quête pas seulement la nutrition, il tire également plaisir dans la tétine, un substitut du sein maternel auquel il n’a pas ou plus accès.

Donald Winnicott évoque aussi l’aspect érotique de la succion. Pour le psychiatre et pédiatre anglais, la tétine, tout comme le pouce et le doudou, sont des objets transitionnels, des médiateurs entre la toute-puissance du sein maternel et la réalité extérieure. Le suçotement permet à l’enfant de se rassurer lui-même, de supporter la frustration de l’absence de la mère.

La tétine, un substitut affectif dans un monde où manque l’amour maternel

De son côté, le psychanalyste américain René Spitz note combien de fois la succion d’un objet, comme la tétine, apaise l’enfant privé du sein de sa mère. John Bowlby, père de la théorie de l’attachement, parle aussi d’une tentative désespérée de pallier la carence affective de la maman. Mais il va plus loin, en y voyant également un substitut affectif dans un monde difficile, où l’amour maternel fait défaut. Confronté à la dureté de la société et à son insécurité, l’enfant tenterait de se réfugier dans la tétine, qui lui rappelle la protection maternelle.

La tétine n’est qu’un placebo

Cette mécanique psychologique se manifesterait aussi chez les jeunes adultes qui ont recours à la succion, que ce soit avec la tétine ou le sein de leur femme. Eux aussi auraient besoin de réassurance face à un monde d’angoisse. Les spécialistes voient dans leur comportement le signe d’une difficulté à renoncer à la toute-puissance du soin maternel, ou d’une incapacité à absorber l’absence et la séparation avec la mère.

Pour certains, le passage à l’âge adulte n’a pas été une réussite, la tétine fait donc office d’objet transitionnel. Mais les psychologues pensent que la tétine est un simple placebo. Ils invitent les internautes qui l’utilisent à se réorienter vers des spécialistes ou des méthodes appropriées pour apaiser véritablement leurs angoisses, comme la sophrologie et le yoga.

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