Jeux vidéo, alcool, tabac : la campagne anti-drogues du gouvernement qui ne passe pas

Plutôt que d’associer les jeux vidéo à l’alcool et au tabac, qui tuent chaque année en France, le gouvernement aurait pu se contenter de cibler les deux derniers, voire la cigarette exclusivement, qui reste associée à une pratique sociale « cool ».

A peine lancée, aussitôt décriée. Début janvier, la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA), un service rattaché au Premier ministre, lançait la campagne « Jeux vidéos, alcool, tabac : je dis non aux addictions », en partenariat avec l’éditeur Bayard Jeunesse. Le but, louable, était de retrouver le chemin de la parole avec les adolescents, à cet âge où il est plus aisé de dire « oui » à tout, pour leur enseigner le « non ». Mais cet objectif pourrait être éclipsé par la grossière bévue effectuée par le gouvernement : avoir mis dans le même panier jeux vidéos, alcool et tabac.

Alors que les jeux vidéos n’ont jamais fait autant recette – les chaines Youtube dédiées au « gaming » tendent à tout rafler sur leur passage –, certains n’ont pas hésité à monter au créneau pour dénoncer un rapprochement peu judicieux, avec, à l’appui, des chiffres assez évocateurs : en France, tous les ans, selon Santé Publique France, l’alcool fait environ 41 000 morts et le tabac 75 000. Les jeux vidéo, 0. Sur son compte Twitter, le Syndicat national du jeu vidéo (SNJV) a ainsi demandé « le retrait de cette campagne qui crée un amalgame entre des pratiques addictives (tabac, alcool) présentant un danger mortel, et celle du jeu vidéo ».

« Trouble » versus « addiction » 

Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de « sujet » jeux vidéo. Ce n’est pas pour rien que les addictologues, ainsi que certains journaux et magazines se penchent sur la question. Même l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a reconnu en 2018 qu’il existe un « trouble du jeu vidéo ». Mais non une « addiction » – la différence est de taille –, comme c’est le cas pour l’alcool et le tabac. La campagne de la MILDECA aurait pu se contenter de cibler ces deux drogues « certifiées », qui impactent dès l’adolescence, et même de plus en plus tôt, au lieu d’englober les jeux vidéo, dont l’assimilation à une addiction relève pour beaucoup d’un cliché.

Les services du Premier ministre auraient même pu se focaliser uniquement sur la cigarette, alors que l’OMS ne cesse d’alerter sur les inégalités dans la lutte contre le tabagisme. En France, ce n’est qu’à grands coups de fiscalité punitive que le gouvernement souhaite parvenir à faire reculer la consommation – une hausse de 10 % du prix des paquets engendre une diminution de la consommation d’environ 4 % dans les pays riches, note l’Organisation. Mais l’OMS le précise bien : pour prévenir de manière efficace le tabagisme, il faut que chaque pays surveille de manière précise son niveau de consommation – notamment chez les plus jeunes.

Jeux vidéo, alcool, tabac = pas du tout le même combat

Cela passe, notamment, par une modification de l’image véhiculée par le tabac, à savoir une « activité » en vogue, sympathique, sociale et cool. En juillet 2019, le groupe anti-tabac Truth Initiative épinglait ainsi la plateforme de vidéo à la demande américaine Netflix, pour la forte présence de nicotine dans ses séries destinées aux jeunes, qui ont quadruplé en un an. « Le problème structurel reste l’image positive associée au tabac dans de nombreux pays », affirmait par exemple début janvier au Figaro Loïc Josseran, le président de l’Alliance contre le tabac et professeur de santé publique à l’Université de Versailles Saint-Quentin.

La France pourrait prendre exemple sur le monde anglo-saxon, qui a selon lui « déconstruit l’image positive associée au tabac dès les années 1980, par exemple en Floride et en Californie, où des programmes de dénormalisation du tabac ont été menés auprès des jeunes ». Après tout, l’article 13 de la Convention-cadre de l’OMS interdit bien toute publicité et parrainage en faveur du tabac. Ce qui vaut également pour les cigarettes électroniques, nouveaux (potentiels) fléaux de la Santé publique, contre lesquelles se bat l’Organisation, qui les a reconnues en juillet dernier, dans un rapport sur le tabagisme mondial, « incontestablement nocives ».

Nocivité des produits dérivés

« Bien que certains de ces produits émettent moins d’émissions que les cigarettes conventionnelles, ils ne sont pas sans risque et leur impact à long terme sur la santé et la mortalité est encore inconnu », estime l’OMS. L’organisation pointe du doigt, sans les mentionner, les majors de l’industrie du tabac, telles que Philip Morris International qui ont fait de la cigarette électronique (IQOS) leur nouveau produit phare – aussi, voire plus tendance désormais que la simple cigarette. Mais l’OMS n’hésite pas à le redire : « Toutes les formes de tabac sont nocives […]. Le tabac est toxique par essence et renferme des produits cancérogènes, même dans sa forme naturelle ».

L’Organisation mondiale de la santé préconise même une réglementation plus contraignante afin d’aligner les taxes des cigarettes électroniques sur celles des produits du tabac. La situation française nécessiterait une évolution réglementaire sur la question. Le gouvernement travaille apparemment sur le sujet.

Game over.

 

 

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