Vers une industrie du luxe éthique

La crise sanitaire due au coronavirus est passée par-là : notre rapport au vivant doit évoluer, et nous ne pouvons plus nous considérer comme « maîtres et possesseurs de la nature ». La mode, dans un souci éthique – mais également de chiffres -, l’a bien compris. Le secteur a d’ailleurs amorcé, l’an dernier, un virage environnemental sans précédent. Décryptage avec Antoine Arnault, administrateur de LVMH.

Au risque d’exciter les partisans du « on peut plus rien dire » – et, surtout, ceux de sa variante : « on peut plus rien faire » -, il faut se l’avouer d’emblée : l’industrie de la mode, en 2021 – bientôt 2022 -, ne peut plus surfer sur ses iconiques pantalons-crocodiles, sacs à main-vaches et autres manteaux-fourrures en tout genre. Ni même sur ses (apparemment) inoffensifs teeshirts-moutons.

Ce n’est pas pour rien si, depuis plusieurs années maintenant, toute une littérature (romans, essais, articles, etc.) foisonne pour tenter d’abolir les frontières entre les mondes animal et humain ; le secteur du vêtement et de l’accessoire, parce qu’il s’adonne parfois à des pratiques environnementales peu vertueuses, doit repenser totalement ses modes de confections et ses circuits économiques, qui laissent place, pour l’instant, à trop d’absurdités écologiques.

Antoine Arnault (LVMH) : « le luxe entretient un rapport étroit à la nature »

« Sur le plan environnemental, les cycles de mode de plus en plus courts et la mauvaise qualité réduisent considérablement la durée de vie des produits et augmentent par conséquent la quantité des déchets vestimentaires », estiment dans une tribune pour The Conversation Mohamed Akli Achabou, professeur d’éthique à l’IPAG Business School, et Sihem Dekhili, professeure en sciences de gestion à l’université de Strasbourg.

Selon eux, « la consommation textile des Européens est estimée aujourd’hui à 26 kg par individu et par an, dont 11 kg de vêtements jetés ». Une aberration qui a fini par porter un nom: les « vêtements jetables ». Et qui doit être dépassée : «Répondre à l’urgence d’une transformation sociétale favorable à la planète ne peut pas se faire sans l’implication du secteur de la mode. En ce sens, la réflexion sur l’écologie ne devrait pas se limiter au recyclage des vêtements, mais également se doter d’un volet créatif et attractif pour les consommateurs», proposent-ils.

« Faire l’apprentissage d’une autre mesure, celle de l’impact sur la biodiversité et les sols »

Cette idée, de nombreuses institutions du secteur de la mode la partagent justement. «Le luxe, dans toutes ses dimensions, entretient un rapport étroit à la nature. A ce titre, il doit être exemplaire et montrer le chemin pour créer des produits dont la haute qualité est aussi environnementale, estime Antoine Arnault, administrateur de LVMH, le numéro un mondial du luxe. C’est une source de créativité considérable, mise au service d’un objectif primordial». Celui de protéger la nature.

L’actuel directeur général de la marque Berluti en est parfaitement conscient. Et milite pour attirer le milieu du luxe vers davantage de responsabilité environnementale. « Tous les secteurs d’activité de nos métiers sont concernés […] et entretiennent des relations très étroites à la nature : il n’y a pas de champagne sans vignoble, pas de haute couture sans coton ou soie, pas de parfums sans espèces végétales ». D’où l’importance, selon lui, de « faire l’apprentissage d’une autre mesure, celle de l’impact sur la biodiversité et les sols », en ayant recours, par exemple, à « des produits conçus à partir de matières biosourcées et innovantes, en collaboration avec des fournisseurs responsables ».

« Nouvelles générations »

LVMH, qui a amorcé son virage écologique il y a longtemps déjà – mais l’a renforcé l’an dernier avec l’arrivée d’Hélène Valade en tant que directrice du développement Environnement -, n’est pas la seule maison tricolore à se mettre au vert. Selon Le journal du luxe, 2020 marquerait même « un tournant sur la question environnementale » au sein du secteur.

Chanel, par exemple, a émis pour un total de 600 millions d’euros d’obligations durables. Une initiative dont le but, in fine, est de soutenir les objectifs environnementaux de la marque, bien consciente de la réorientation du marché de prêt-à-porter « à l’heure où les nouvelles générations de consommateurs de produits de luxe font des engagements [sociaux et environnementaux] un critère d’adhésion majeur », souligne Le journal du luxe.

Et ce n’est pas seulement le produit lui-même qui est repensé, puisque les emballages bénéficient eux aussi de ce verdissement. Chez Ruinart, ainsi, le packaging a totalement délaissé le plastique grâce à une peau de papier entièrement recyclable ; Gucci, de son côté, propose désormais des emballages éco-responsables, tandis que Breitling a opté pour le plastique PET recyclé.

De nombreuses innovations qui permettront de diminuer l’impact carbone de l’industrie du luxe. Une question qui sera posée lors de la troisième édition du Sustainable Leather Forum, le 13 septembre prochain à Paris (Palais Brongniart), en marge des grands défis qui attendent la filière et les métiers du cuir.

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