Pourquoi ne mangeons-nous pas plus d’insectes ?

Ils sont riches en protéines, peu coûteux, écologiques et savoureux. Depuis de nombreuses années, les reportages et les documentaires ne cessent de nous vanter les bienfaits des insectes pour notre alimentation. Pourtant, cette offre peine encore à trouver ses consommateurs en Europe. D’où vient cette répugnance à glisser quelques sauterelles dans la salade de midi ?

Plus d’un quart de la population mondiale mange déjà des insectes

Le saviez-vous ? Les frelons géants japonais, connus dans leur pays natal sous le nom de suzumebachi peuvent mesurer jusqu’à 5 cm de long et sont capables de transpercer du cuir. Ils construisent souvent leur nid sous terre, dans des forêts de cyprès et de cèdres. Dès que l’automne arrive, les chasseurs japonais se mettent à les poursuivre, les écrasant dans des pots de Shochu où ils finissent par mourir. Les larves sont soigneusement extraites des nids et peuvent être mangées immédiatement, frites ou bien mijotées longuement dans du gingembre pour qu’elles restent crémeuses. 

L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture estime qu’actuellement, deux milliards de personnes, soit plus d’un quart de la population mondiale, mangent des insectes dans le cadre de leur régime alimentaire quotidien. Au Kenya, les termites sont arrachées de leurs termitières et mangées vivantes ou grillées à sec. En Amazonie, ce sont les larves du charançon que l’on déguste brûlées et naturellement caramélisées. Au nord-est de la Thaïlande enfin, on se délecte des larves de fourmis tisserandes rouges qui éclatent dans la bouche comme des petits ballons d’eau. 

Quand l’Occident voit encore les insectes comme des nuisibles

Ce n’est qu’en Occident que nous résistons encore à de tels « plaisirs gustatifs ». Nous continuons de savourer des huîtres laiteuses, du fromage fort ou encore des burgers par centaines tout en restant très frileux à l’égard de tout ce qui rampe, saute ou vole autour de nous. C’est un fait historique attribuable en partie à notre situation géographique. Au cours de ces derniers millions d’années, une grande partie de l’Europe était recouverte de glace, milieu très inhospitalier au développement de ces insectes si précieux. La topographie du continent n’a ainsi pas encouragé une grande biodiversité, l’Europe n’abritant que 2 % des insectes comestibles au monde. 

Ainsi, les Européens, et par extension nos amis américains n’ont jamais eu pour tradition de manger des insectes. Les croyances communes tendent à considérer que les insectes sont des nuisibles, sales ou porteurs de maladies. Nous les appelons même bien souvent des « parasites », mot dont la racine latine signifie « peste ». Un blocage culturel qui n’a empêché certains entrepreneurs occidentaux de promouvoir les insectes comme des « superaliments », riches en protéines et écologiquement durables, s’attirant ainsi les hourras des obsédés de la santé et autres écologistes convaincus. 

Vous reprendriez bien un peu de criquets ?

Au cours des dernières années, de jeunes entreprises dédiées à l’entomophagie (la consommation humaine d’insectes) sont apparues, dont Exo Protein Bars, Bitty Foods, Aspire Food Group ou encore la startup française Jimini’s créée par Clément Scellier et Bastien Rabastens en 2012. En plus des petits criquets et vers grillés, les équipes développent également des pâtes, du miel et des barres protéinées aux insectes. 

Mais les insectes fournis par ces compagnies ne ressemblent plus vraiment à des insectes. Même si notre esprit tente d’évoluer, notre vue elle reste récalcitrante. Pour beaucoup, la vision de cafards carbonisés reste encore source de répulsion. C’est pourquoi les champions de l’entomophagie essaient de déguiser ces insectes souvent broyés dans des poudres insipides et uniformes. La texture et leur saveur initiales ont presque totalement disparu. 

Toutefois, le marché mondial n’attend pas de manger des insectes « en poudre », mais bien dans leur état comestible naturel. La demande croissante recherche des insectes en tant qu’insectes. Le prix des punaises géantes d’eau a par exemple considérablement augmenté en Thaïlande (la phéromone sécrétée par les mâles est considérée comme aphrodisiaque), car l’espèce est en voie de disparition en raison de l’utilisation de pesticides agricoles. 

Des bienfaits nutritionnels scientifiquement prouvés

Au quotidien, nous avalons déjà en moyenne 500 grammes d’insectes par an (fragments d’insectes dans les aliments par exemples) et d’un point de vue scientifique, notre rejet des insectes comme nourriture est illogique. Quelque 2100 espèces d’insectes dans le monde ont d’ailleurs été identifiées comme comestibles (les punaises, les coléoptères, les chenilles…). Leurs bienfaits nutritionnels, qui varient selon les espèces, sont substantiels : source importante de protéine, valeur énergétique élevé, riches en acides aminés essentiels, pauvres en graisse… De plus, ils génèrent beaucoup moins de gaz à effet de serre que le bétail conventionnel. Et ils se reproduisent et grandissent avec une rapidité surprenante, un enfer si nous les considérons comme des nuisibles, mais une bénédiction s’il s’agit de nourrir la planète. 

Une idée qui fait son chemin

Si cela semblait improbable il y a encore une dizaine d’années, il semblerait que l’idée fasse peu à peu son chemin. Le groupe Aspire Food, basé au Texas, prévoit de construire plusieurs installations automatisées de production de grillons, dans lesquelles des modules robotique pourront produire des milliards d’insectes chaque année. Aspire Food a également formé des centaines d’agriculteurs locaux au Ghana à l’élevage des larves de charançons pour leur permettre de gagner des revenus stables toute l’année. Au nord-est de la Thaïlande, l’élevage de grillon traditionnel prend une dimension industrielle. Aujourd’hui dans le monde, environ 20 000 exploitations agricoles de ce type ont été créées et gagnent collectivement plus de 3 millions de dollars par an.

Même s’il semble parfois difficile de se projeter dans les habitudes d’autres cultures, et même si nous ne sommes pas forcément prêts à déguster des coléoptères à tous les repas (ceux-ci font encore office d’épreuves redoutées dans les émissions d’aventure comme Koh Lanta), l’idée fait peu à peu son chemin. L’Union européenne a décidé de considérer les produits à base d’insectes comme « novel food » et au mois de janvier dernier un label a été attribué aux entreprises « ayant prouvé que leurs produits ne représentaient aucun danger pour l’Homme ». 

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