La banlieue parisienne en pleine transformation

L’exposition « Trésors de banlieues », l’incubateur Incub’ 13, le pôle culturel et de loisirs EuropaCity et le média Argot Magazine illustrent la créativité et l’énergie qui se dégagent de la banlieue francilienne ces dernières années.

Quel est le point commun entre Chagall, Fernand Léger, Corneille et Elsa Triolet ? Tous ces artistes ont légué une partie de leurs œuvres à des mairies de banlieues populaires. Des collections publiques, mais dispersées et méconnues. À partir du mois d’octobre, la mairie de Gennevilliers rassemble près de 350 de ces œuvres pour une exposition exceptionnelle. « Cet automne, Paris va nous jalouser », se félicite, non sans malice, Patrice Leclerc, maire (PCF) de Gennevilliers (Hauts-de-Seine).

À partir du 4 octobre et jusqu’à fin novembre, l’exposition « Trésors de banlieues » montrera au public plusieurs centaines d’œuvres prêtées gracieusement par 53 villes situées en banlieue : Courneuve, Sarcelles, Vénissieux, L’Isle-Adam, Saint-Étienne-du-Rouvray…

Car en matière d’art, la périphérie a un certain nombre de leçons à donner au centre, fut-il la fière capitale française. Après tout, c’est bien à Gennevilliers qu’ont été réalisés certains tableaux parmi les plus représentatifs de l’impressionnisme. Et le mouvement ne s’est pas arrêté là. « La banlieue est à l’origine de 95 % de la création contemporaine. Ensuite Paris digère et revendique ces courants, mais c’est bien la banlieue qui façonne et imprimer sa marque à l’art, explique Noël Coret, commissaire de l’exposition. Aujourd’hui c’est le cas avec le street art et le hip-hop. Je suis encore stupéfait de cette puissance créatrice. La banlieue est bien le terreau de l’art contemporain ».

Mais pas seulement. Contrairement aux idées reçues, la banlieue parisienne est extrêmement dynamique en matière économique. Pas moins de 26 000 entreprises ont vu le jour dans le département de la Seine–Saint-Denis en 2018.

Certes, le nombre de défaillances (2 410) y est assez élevé par rapport à d’autres départements (116 dans les Hauts-de-Seine). Mais le département que certains croient condamné à être le plus pauvre de France ne cesse d’exercer un pouvoir d’attraction certain sur les jeunes entrepreneurs.

Un dynamisme économique

« Le 93 est un département très moteur en matière decréation », explique au Parisien Mohamed Aboudrar, responsable de l’incubateur Incub’ 13, créé à Villetaneuse en 2012. « Au départ, il a fallu se battre pour remplir l’incubateur. Paris était un aspirateur à projets. Aujourd’hui, les choses changent : le 93 devient un premier choix », résume le responsable.

Depuis, la tendance n’a fait que se confirmer. L’Accélérateur Seine–Saint-Denis de Bpifrance, l’Association Jean-Luc François (incubateur spécialisé dans le textile), le pionnier Bond’innov (spécialisé dans les projets en santé, biotechnologies, environnement, économie sociale et solidaire) ou encore le programme Incoplex 93 (destiné aux startups orientées vers des enjeux sociaux et environnementaux) témoignent de la multiplication sans précédent des incubateurs et accélérateurs dans le 9-3.

Sur le plan touristique, la construction du mégacomplexe de loisirs et de commerces Europacity devrait donner un nouveau souffle à la banlieue. Alors que la justice vient récemment de donner raison aux promoteurs porteurs du projet, Europacity prévoit d’attirer près de 31 millions de visiteurs par an. À titre de comparaison, le Louvre a été fréquenté par 10 millions de personnes en 2018, et le château de Versailles 8 millions. L’objectif est ambitieux pour le groupe Auchan, financeur du projet, qui mise sur ce nouveau quartier riche de dizaines de boutiques, de restaurants, de musées, d’hôtels ou une salle de concert. Près de 10 000 emplois sont attendus par la commune de Gonesse dans le Val d’Oise, qui jouxte le chantier d’Europacity. Rendez-vous en 2027 pour voir si le pari est à la hauteur des attentes.

Branché et engagé

Le dynamisme de la banlieue est tel que les médias traditionnels auront de plus en plus de mal à en rendre compte. C’est en tout cas ce que semble se dire Abiola Obaonrin, créateur d’Argot Magazine, le premier média consacré à l’économie des quartiers populaires. « Ici, on a deux modèles : les footballeurs et les rappeurs. Mais si tu ne sais faire aucun des deux, tu deviens quoi ? À quel moment voit-on les gens des quartiers dans les médias, la publicité, la politique ? », s’interroge le jeune homme élevé à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) et Savigny-le-Temple (Seine-et-Marne).

« Nous souhaitons avant tout rendre hommage à des personnes qui parfois, sans moyens, ni réseaux parviennent à réaliser des choses extraordinaires. Comme la cuisine, la débrouille est un art qui demande du talent, de la persévérance et une petite touche de magie… Celle-là même qui permet de faire un véritable gâteau avec des miettes », lit-on sur Argot Magazine, ce média à la fois branché et engagé. Nul doute qu’ils trouveront de nombreux sujets pour enrichir leurs colonnes. La banlieue parisienne regorge en effet d’initiatives capables de tordre le cou aux idées reçues.

La nouvelle semble d’ailleurs s’être déjà répandue, à en croire le boom des prix de l’immobilier. Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine), Bagnolet (Seine–Saint-Denis) et Malakoff (Hauts-de-Seine) arrivent en tête du classementdes villes les plus performantes en termes de plus-value immobilière. Signe que la banlieue attire de plus en plus.

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